la lettre
Les pavés défilent rapidement sous ses pieds. Le claquement de ses talons résonne dans la rue presque vide. C’est une petite allée perpendiculaire au boulevard principal, dans laquelle se trouve l’immeuble qui abrite les locaux de son entreprise. L’ampleur de ses pas est limitée par sa jupe droite, alors pour marcher vite elle doit presque trottiner. Elle regarde nerveusement autour d’elle, avec l’impression que le monde entier sait ce qu’elle va faire.
Ne me jugez pas. Vous feriez pareil à ma place, pense-t-elle.
Elle arrive sur le boulevard principal. Le métro est tout proche. Elle dévale les escaliers avec hâte. Elle jette un œil à sa montre : 16h34. Elle a largement le temps ; en général son mari ne rentre pas avant 20h. Mais elle ne peut pas se permettre de se faire surprendre par un imprévu. Il faut faire vite.
Et même si vous me jugez, ma décision est prise, je ne reviendrai pas en arrière.
Lorsqu’elle dérape sur la dernière marche des escaliers, elle se tape violemment le postérieur contre le béton et se souvient qu’elle a oublié de changer de chaussures avant de partir. Deux passants s’arrêtent pour l’aider à se relever. Elle les remercie et leur assure que tout va bien, malgré la douleur qui tiraille son coccyx et la culpabilité qui lui pèse sur le cœur.
Il va tellement m’en vouloir. J’ai honte de lui faire ça… Mais je n’ai pas le choix.
Durant le trajet du métro, elle change ses escarpins pour une paire de baskets, qu’elle emporte toujours avec elle en prévision d’un mal de pied inévitable après une longue journée.
Lorsqu’elle arrive chez elle, elle se rue immédiatement dans sa chambre et commence à remplir sa plus grosse valise avec ses vêtements préférés. Ceux qu’elle ne voudrait surtout pas laisser derrière elle.
Elle se sent un peu lâche. Mais le soulagement qu’elle entrevoit vient contrebalancer ses états d’âme.
« Tu es sûre de vouloir le quitter, ma chérie ? » Elle entend encore la voix de sa mère, lors d’une conversation quelques semaines auparavant. « Tu arriveras à t’en sortir toute seule financièrement ? Rappelle-toi de ton amie Cécile. » Elle avait en effet dû héberger Cécile pendant plusieurs mois suite à son divorce, parce qu’elle ne parvenait pas à trouver un travail après sept années passées en mère au foyer. « Moi, je pense qu’il ne faut peut-être pas divorcer non plus dans ces cas-là. » avait jugé sa mère. Elle comprend sa pensée ; sa mère a toute sa vie été dépendante financièrement de son mari. Mais elle ne parvient pas à lui faire comprendre que ça n’est pas qu’une question d’argent. Il en va de son bien-être.
Elle s’arrête un instant, et s’assoit sur son lit. C’est compliqué, émotionnellement, de faire ses bagages aussi vite. Elle veut vérifier l’heure, mais le radioréveil n’est pas à sa place habituelle, sur la table de chevet. Elle reprend le tri de ses vêtements.
Au bout de trente minutes, la valise est pleine. Elle s’accorde une pause. Un petit verre d’eau dans la cuisine, tiens. Ou même un petit verre de blanc, pour se donner du courage. Le frigo est vide, mis à part la fameuse bouteille de vin blanc, et un pot de moutard périmée.
Elle réfléchit. Elle hésite à emporter quelques ustensiles de cuisine, quelques éléments de décoration. Elle ne veut pas tout laisser à son futur ex-mari, mais elle ne veut pas non plus partir trop encombrée.
Il ne m’a pas trompée. Il me prépare toujours un bon repas le samedi soir. Il me souhaite toujours une bonne journée avant de partir le matin. « Je ne comprends pas ce qui ne te plaît plus chez lui », lui avait dit sa mère. Elle ne comprend pas non plus. Elle ne ressent simplement… plus rien. Et elle ne sait pas comment se tirer de cette situation.
Elle retourne finalement à sa valise et en retire une robe verte. C’est sa préférée, mais aussi celle de son mari. Elle l’a portée lors de nombreux rendez-vous avec lui et elle n’est pas certaine de vouloir prendre le risque d’emporter les souvenirs qu’elle représente.
Une fois le tri de ses vêtements terminé, elle contemple l’armoire. Elle lui parait bien vide. Elle repense au radioréveil. Puis au frigo. Elle retourne soudain dans la cuisine, l’ouvre et constate qu’il est éteint. À y repenser, le verre de vin n’était pas très bon, mais elle n’y avait pas prêté attention. Elle va dans le salon et constate que la télévision a disparu. De retour dans la chambre, elle réalise que le vide de l’armoire était en partie dû aux chemises de son mari, absentes de la penderie. Elle ouvre sa moitié du placard. Plus aucun vêtement.
Refusant d’admettre ce qui s’impose à elle, elle inspecte toutes les pièces. Elle termine par l’entrée. Sur le meuble, dans le cadre qui contient une photo de leurs dernières vacances au soleil, est glissée une enveloppe. Elle s’en saisit, les mains tremblantes.
Des larmes coulent déjà sur ses joues quand elle commence à lire la lettre qu’elle contient.
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